Chronique 5 : 20/06/2013

Chronique 5 : 20/06/2013

Les chroniques d’Eve – 5

20/06/2013

J’ai vécu une après-midi extraordinaire ! Jamais je n’aurais pensé qu’être coincée durant trois heures dans un train me laisserait un souvenir si inoubliable.

Après avoir rendu visite à mon amie, Maria, que je connais depuis que j’ai commencé à travailler, à savoir une dizaine d’années, je pris le train à la gare de Schuman, direction Alost.

Il était 16h48.

Le train venait à peine de démarrer quand il s’arrêta brusquement avant même que nous atteignions Bockstael, l’arrêt suivant. Au début, je ne me suis pas inquiétée – après tout cela arrive fréquemment – mais au bout de trente minutes, je me demandai à l’instar des autres voyageurs, ce que pouvait bien f….. ce maudit train ! La voix du contrôleur se fit alors entendre et il nous annonça d’une voix tragique que la locomotive était en panne. A peine avait-il terminé, qu’un chahut assourdissant m’agressa les oreilles. Les GSM crépitèrent : envois de textos, coup de fils urgents – “chéri, tu peux aller chercher les enfants à la crèche ?” – grognements d’insatisfaction, onomatopées en tous genres. Durant plusieurs minutes, le wagon fut rempli de protestations, de râleries ou de propros fatalistes. Français, néerlandais, et même anglais, toutes les langues se mélangeaient en une basse-cour hétéroclite. Une vraie cacophonie !

Moi, je n’avais personne à prévenir, alors je me contentai de mettre mes écouteurs et d’ observer ces mines déconfites au son d’une musique grecque bien dépaysante. Seul le charmant jeune homme assis à mes côtés restait serein. Il me fit un timide sourire puis se replongea aussitôt dans son smartphone.

Au bout d’une demi-heure supplémentaire, le contrôleur fit son apparition, le front dégoulinant de sueur. Il souffla un bon coup avant de nous demander de prendre notre mal en patience. Nous étions sur un échangeur et il était difficile d’accéder à notre train. Une bonne heure pouvait encore s’écouler avant que notre locomotive soit réparée. Il nous conseilla d’aller dans les voitures situées plus à l’avant où il faisait plus frais. Il est vrai que la chaleur nous écrasait car l’air climatisé ne fonctionnait pas et les rayons de soleil – les seuls qu’on ait vus de la semaine ! – tombaient directement sur notre wagon qui se vida instantanément.

Mon voisin à côté de moi se mit encore plus à son aise, étendant ses longues jambes et enlevant sa veste. Nous n’étions plus qu’une petite dizaine de passagers dans tout le fourgon.

– Vous croyez qu’on arrivera avant minuit chez nous ? demanda une jeune fille avec un petit rire charmant.

Après quelques secondes d’étonnement, sa voisine d’en face répondit en évoquant le dîner que son mari devrait pour une fois préparer. Un couple de personnes âgées, installé un peu plus loin, se mêla à la conversation, puis une femme entre deux âges et encore une autre. Bientôt, des éclats de rire ponctuèrent anecdotes et blagues en tous genres. Les râleries du début avaient cédé la place à la bonne humeur et à la convivialité.

Le temps fila et j’appris entre autres que mon charmant voisin terminait ses études d’ingénieur, qu’il ne prenait presque jamais le train, qu’il détestait le choux et qu’il était fan de batterie. Pendant un moment, nous oubliâmes l’endroit où nous nous trouvions et tous les passagers avaient fini par faire connaissance.

Notre conversation fût interrompue par l’arrivée de deux employés de la SNCB portant des petites bouteilles d’eau. Ils furent accueillis par des exclamations de gratitude auxquelles ils ne s’attendaient visiblement pas. Je vidai presque toute la bouteille en à peine quelques gorgées.

Puis, mon estomac cria famine. Il était 19h40. Nous étions coincés dans ce train depuis plus de deux heures trente.

Une communication se fit enfin entendre pour nous annoncer notre départ immédiat vers la gare de Simonis où nous attendait un train pour Jette. Là, nous pourrions prendre un autre convoi en partance pour Alost.

Le train se mit en branle.

Nous arrivâmes rapidement à Simonis et effectivement, un autre train nous attendait sur l’autre voie. Je me laissai dépasser par la foule et j’eus un moment d’inquiétude en voyant la taille du train. Nous ne pourrions jamais tous entrés là-dedans ! C’est alors que j’aperçus une porte au dernier wagon et que personne n’avait ouverte. Je laissai mon charmant voisin monter comme les autres. Je préférai tenter ma chance, même seule. Je poussai sur le bouton qui actionna l’ouverture de la porte et entrai dans un wagon minuscule mais complètement vide ! Je m’installai, satisfaite et en même temps étonnée que personne ne monte à cet endroit. Tous les passagers se dirigeaient vers l’avant.

La sonnerie se fit entendre, les portes se fermèrent et le train démarra.

Je prends souvent les transports en commun et je connais relativement bien les paysages aux alentours de Bruxelles. C’est pourquoi, je fus particulièrement étonnée de celui qui défilait sous mes yeux ! D’abord, le train longea une forêt éclatante. Je n’en avais jamais vue de pareille : les arbres paraissaient très petits alors que certaines plantes affichaient une taille anormalement haute ! Il y avait des champignons géants, des rivières d’or et des oiseaux multicolores. Ce paysage paraissait irréel et pourtant il m’était vaguement familier. C’est alors que je compris : il s’agissait d’une forêt que je décrivais dans mon dernier livre ! Comment cette végétation, sortie tout droit de mon imagination, pouvait-elle s’étaler, là, devant moi ?

Je fus interrompue dans mes pensées par le contrôleur que je n’avais pas entendu arriver. Je le regardai avec des yeux de merlans fris.

– Vous faites bon voyage, mademoiselle ? me demanda-t-il.

Il avait une belle voix, très chaleureuse qui se mariait bien avec son physique rond et son visage amical. Machinalement, et bien qu’il ne me l’ait pas demandé, je sortis l’abonnement de mon sac et le lui présentai.

– Quelque chose ne va pas ? s’enquit-il avec une lueur d’inquiétude dans le regard.

Je secouai la tête négativement alors que je rangeai mes papiers sans même qu’il y ait jeté un coup d’œil.

– Non, répondis-je. Non, tout va bien. C’est juste que … vous ne trouvez pas le paysage étrange ?

Ses lèvres fines s’étirèrent en un sourire espiègle.

– Que lui reprochez-vous ? Je le trouve très réussi.

– Vous êtes vraiment contrôleur ? demandai-je soudain suspicieuse.

– Je suis un accompagnateur.

– Cela revient au même.

– Pas du tout. Je suis un accompagnateur de voyage.

– Et quelle est notre destination ?

– Jette, bien sûr.

– Il n’y a pas de forêt pareille à Bruxelles.

– Vraiment? C’est étrange alors.

Je voyais bien qu’il se moquait de moi.

– Il est temps de descendre, mademoiselle, dit-il avant de tourner les talons et de quitter le wagon.

Lorsque je regardai à nouveau par la vitre, je constatai avec une pointe de regret que la station de Jette en plein travaux avait pris la place du paysage si joli que j’observais avec tant d’incrédulité quelques minutes plus tôt.

Je descendis et me dirigeai vers le train qui nous attendait de l’autre côté de la voie. Lorsque je me retournai, le wagon dans lequel j’étais monté avait disparu. Le convoi ne comprenait plus que trois voitures et non quatre ! Abasourdie par ce mystère, je montai dans le train en direction d’Alost et effectuai le trajet dans un état second, encore sous le charme de mon aventure.

J’arrivai rapidement à Dilbeek. Il était 20h05.

Je marchai sur le quai vers la sortie quand je dépassai le contrôleur. Son allure tout en rondeur attira mon attention et lorsque je me tournai vers lui alors qu’il grimpait dans le train, je reconnus mon accompagnateur de voyage. Il m’aperçut et me fit un petit clin d’œil espiègle juste avant que les portes ne se referment.

Je rentrai chez moi, de très bonne humeur. Je crois bien que mon sourire ne me quitta pas de toute la soirée.

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